10 h 11. Appel manqué. Recherche immédiate sur Google du numéro de téléphone. C’est le nom de l’entreprise d’une de mes clientes qui s’affiche, mais je ne connais pas ce numéro et je n’ai aucun historique associé dans mon téléphone.

10 h 21. Je rappelle, et un homme qui m’est inconnu me répond.

« Bonjour, c’est Alexandre Vézina. J’ai manqué votre appel. Que puis-je pour vous? »

« Bonjour Alex, je sais que l’on n’a jamais discuté ensemble, mais… ma femme aurait souhaité que tu le saches rapidement. Elle nous a quittés hier soir », me lance-t-il doucement, sans le moindre sanglot dans la voix.

BANG.

« Toutes mes condoléances à toi et ta famille… », ai-je répondu, surpris et secoué.

Le conjoint de cette cliente me contactait moins de douze heures après la mort de sa femme. Le plus étonnant, c’est qu’il souhaitait m’en parler parce que je connaissais bien les défis de leur entreprise et parce que sa femme voulait aller jusqu’au bout de ses apprentissages avec moi, même pendant son combat contre le cancer.

Oui, vous avez bien compris, jusqu’à la fin de sa vie. Jusqu’à la toute fin de sa vie, ma cliente voulait apprendre. Et elle voulait le succès de son entreprise pour l’homme de sa vie et ses enfants.

J’ai été shaké par cet appel. Ce n’est jamais facile d’avoir ce type de conversation.

Le conjoint de ma cliente m’a raconté pendant plusieurs minutes tout ce qu’ils avaient vécu dernièrement, entremêlant la maladie et les enjeux professionnels. Parce que j’étais au courant de leur situation et que je les conseillais depuis quelques années. Face à la maladie et en pleine pandémie, cet homme avait pris une pause de son entreprise pour s’occuper à temps plein de sa conjointe et l’accompagner dans les derniers mois qui lui restaient à vivre. Il avait même décidé de fêter ses 50 ans en avance, en famille, car il était peu probable qu’elle tienne encore le coup jusqu’à son anniversaire.

Dans mon nouveau livre Évolution, je raconte en partie l’histoire de Claire (un nom fictif pour préserver l’anonymat) au chapitre 13. C’est une des rares clientes depuis le début de la pandémie que j’ai accompagnée personnellement, car je connaissais sa condition médicale. J’ai même discuté au téléphone avec elle moins de dix jours avant sa mort. Elle revenait sans cesse sur ce qu’elle avait mis en place, sur les gestes qu’elle avait posés afin de s’assurer de la pérennité de ses fonctions dans l’entreprise familiale et de maintenir la croissance des activités.

Vous ne trouvez pas ça inspirant? Certains y verraient de l’aveuglement dans le contexte de maladie, mais cette femme voulait boucler la boucle : s’assurer de laisser son entreprise familiale en ordre pour son conjoint, pour ses enfants, pour ses employés et pour ses clients.

On oublie parfois l’essentiel lorsqu’on est en santé, mais on a droit à un dur retour à la réalité lorsqu’on la perd ou qu’un proche est gravement affecté. On l’a presque tous vécu. Et si vous ne l’avez pas encore vécu, vous allez le vivre un jour. Le sablier de notre vie s’écoule doucement. Des signes et même des situations nous ramènent à l’ordre, toujours au moment où on s’y attend le moins.

« Alex, je comprends pourquoi tu m’as dit que tu n’avais pas de temps à perdre avec les imbéciles… »

C’est une phrase qu’elle m’a répétée régulièrement depuis le mois de mars.

Même si je suis un maniaque des processus et de la rigueur en affaires, je ne travaille pas comme un fou, contrairement à ce que certains peuvent penser. J’ai ma propre définition de l’équilibre tout en sachant exactement ce que je veux accomplir en affaires… et dans la vie.

Être en affaires, malgré la passion que j’ai pour l’entrepreneuriat, est pour moi un moyen de m’accomplir et de parvenir à mes vraies fins. J’en mange, c’est vrai, mais je ne vis pas uniquement pour ça. Il m’arrive moi aussi de tirer la plogue à 15 h 30 pour changer d’air parce que rien ne fonctionne au travail.

Dans ce périple qu’est celui de l’entrepreneur, nous découvrons une notion : le contrôle de l’équilibre. Lorsqu’on a déterminé ce qui est essentiel et important pour nous, il devient plus naturel de converger nos décisions professionnelles et nos actions en affaires vers ce que l’on souhaite vraiment accomplir. Ça simplifie habituellement beaucoup les choses.

J’ai eu de la difficulté à raccrocher le téléphone lors de cet ultime appel avec Claire. Comment termine-t-on une conversation lorsqu’on sait que l’on ne discutera plus jamais avec une personne et que son heure est venue?

« Laisse faire l’entreprise Claire, tu as fait tout ce que tu avais à faire. Tu as été résiliente et extrêmement forte. Passe le reste de ton temps avec ta famille… Je ne sais pas comment terminer cette conversation, mais sache que j’ai été enchanté de te connaître et de t’aider. Félicitations pour tout ce que tu as accompli. »

« Merci pour tout, Alex. »

Qu’est-ce qui est réellement important pour vous?

Que souhaitez-vous accomplir et pourquoi?