« Alex, tout me fait chier! »

Je ne m’attendais pas à ce genre de commentaire quand j’ai pris le temps de rencontrer individuellement une quarantaine d’entrepreneurs des quatre coins du Québec récemment. Constat : une grave épidémie frappe actuellement de plein fouet les entrepreneurs du Québec, incluant les solopreneurs.

Martin, propriétaire d’une entreprise de stratégie marketing de six employés, en est le parfait exemple. Alors que nous discutions ensemble, il me lance :

– Alex, tout me fait chier actuellement. Les demandes de mes clients me font chier. Les employés ne comprennent rien de ce que je vis. Ils m’en rajoutent en me demandant de payer leurs déplacements depuis leur domicile pour venir travailler au bureau. Eux aussi me font chier. Ma coupe est pleine et ils osent se plaindre le ventre plein… Ils font même plus d’argent que moi! Mes façons de développer mon entreprise avant la pandémie n’ont plus les mêmes effets maintenant. Elles ne sont plus d’actualité. J’ai l’impression de naviguer dans le brouillard, mais je ne veux pas faire peur à mon équipe. J’ai clairement besoin de vacances, mais ça ne règlera pas mes problèmes.

– Je comprends très bien ta situation Martin, lui ai-je répondu. Ton estime de soi et ta confiance sont fortement ébranlées. Les efforts investis dans ta réussite n’ont plus la prévisibilité d’avant. Ton modèle d’affaires et tes points de références ne sont plus d’actualité. Tu es à bout de souffle au point de ne plus y voir clair. Chaque nouveau coup de deux-par-quatre vient t’abattre et te décourager puisque ta carapace est extrêmement fragilisée. Ta vision est teintée par tous ces éléments. Mon diagnostic : tu as une gastro-entrepreneuriale.

Le sourire de Martin s’est alors dessiné dans son visage. Mon objectif était partiellement atteint.

Vous sentez-vous comme Martin?

Martin, comme plusieurs d’entre vous, est à fleur de peau et son attitude face à l’adversité est mise à rude épreuve… et c’est normal!

Les dernières années ont été difficiles pour tout le monde et en particulier pour les entrepreneurs à la barre d’entreprise de moins de 10 employés et les solopreneurs. Être la personne dont tout repose sur les épaules peut s’avérer éreintant… encore plus lorsqu’on est continuellement pris dans les urgences.

Ce qui a fait votre succès dans le passé n’est pas garant de votre avenir entrepreneurial. Parce que la pandémie a ébranlé nos certitudes. Parce que de nombreux enjeux se sont ajoutés, alimentant l’incertitude économique.

Malgré la résilience… malgré l’adaptation… malgré les changements profonds… malgré le virage technologique… malgré les ressources et les efforts investis… Ce n’est pas suffisant.

Les entrepreneurs ont peine à suivre le rythme effréné des changements, malgré une croissance extraordinaire et des trimestres de ventes spectaculaires.

La rareté de la main-d’œuvre jumelée à la flambée du coût de l’essence crée une combinaison angoissante pour certains tandis que les problèmes d’approvisionnement et l’augmentation des délais de livraison ajoutent un stress supplémentaire pour d’autres. La croissance de l’inflation ajoutée à la récession économique que les experts prédisent joue aussi sur les nerfs. Et ne sous-estimons pas l’impact de la guerre en Ukraine, ne serait-ce qu’en alimentation.

C’est face à l’adversité que l’on voit le vrai visage des gens; autant le bon que le mauvais. Notre attitude fait autant partie du problème que de la solution.

La situation actuelle force n’importe quel entrepreneur, peu importe son carnet de commandes, à faire preuve d’audace. À réfléchir à son modèle d’affaires, à son marché et aux opportunités potentielles auxquelles il doit s’attaquer en fonction de ses enjeux. À se retrousser les manches, malgré l’incertitude du contexte actuel.

Comment mieux anticiper la continuité des affaires quand tout devient incertain?

Ce n’est pas sur des eaux calmes que l’on reconnait les bons capitaines; c’est lorsque la tempête fait rage. C’est quand la situation semble désespérée et que les bons capitaines restent debout et mobilisent leur équipage pour affronter la menace que l’on peut réellement les distinguer.

Les entrepreneurs n’en parlent pas. Certains se mentent à eux-mêmes, disant « que tout ça n’est que passager ». D’autres cachent leurs inquiétudes comme un singe, les deux mains sur les yeux. Si les entrepreneurs ne prennent pas le pas de recul nécessaire maintenant, ils pourraient être forcés de prendre des décisions radicales pour l’avenir de leur entreprise. Des décisions difficiles qui auraient pourtant pu être évitées.

Anticiper l’avenir avec combativité est essentiel pour la survie et l’évolution de nos petites entreprises.

Un changement de cap et d’attitude est nécessaire pour mettre fin à ce que j’appelle la gastro-entrepreneuriale.

Il faut chercher à voir le verre d’eau à moitié plein et non à moitié vide.

Lorsque tout nous fait chier et que rien ne va plus, il faut se poser les questions suivantes :

  • À qui puis-je en parler (ventiler) sans être jugé?
  • De quoi suis-je fier parmi les actions posées dans les derniers mois?
  • Quelles sont les zones d’excellence de mon entreprise?
  • Quelles sont les opportunités générées par la situation dans laquelle je suis?
  • Que devrais-je faire autrement pour améliorer ma situation?
  • Qu’est-ce qui me permettra de prendre le recul nécessaire pour prendre de meilleures décisions?
  • Que puis-je faire pour me sentir moins stressé?
  • Qui peut m’aider à voir autrement mes affaires? À découvrir des alternatives?
  • Etc.

Cherchons à voir autrement les situations que l’on vit pour retrouver le goût de développer nos entreprises. Pour que ça fonctionne, ça prend des changements profonds dans notre façon de faire des affaires.

Rappelons-nous les mots de MC Solaar : « Pour aller de l’avant, il faut prendre du recul. Car prendre du recul, c’est prendre de l’élan. »